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Instantanés

J’étais pressé ; une démarche décidée me conduisait au multiplex qui diffusait encore en version originale le dernier film de science-fiction à la mode couvert d’éloges.
[Au passage, là où Cotillon affaiblit la pellicule, Ellen Page lui redonne une vitalité bienvenue ; une femme splendide.]
Je traversai à cette allure la place Pey Berland lorsqu’une seconde – une seconde pleine et entière – avant que le cycliste ne renverse la gamine, je me tournai d’un déclic à l’endroit de ladite fillette. Comme si, précédant d’une seconde pleine et entière la rencontre accidentelle, j’avais procédé au tri et su parmi tous les futurs possibles, instinctivement ou tirée d’une prescience inconsciente, ce qui allait se dérouler une vingtaine de mètres sur ma droite.
Le type descendait tranquillement la rue Vital Carles en suivant le tracé du tramway, entamant le virage devant l’entrée de la cathédrale quand la gamine se détacha de sa mère, contourna un plot de protection et entreprit de traverser la voie. L’homme, devant ce soudain obstacle, ne put que lâcher un « Attention ! » ; l’enfant reçut de plein fouet le véhicule lancé à une certaine vitesse. Il y eut quelques instants d’insoluble silence avant qu’elle ne se mette légitimement à hurler.
Je ralentis mes pas et observai la scène, puis continuais mon chemin, remarquant tout à coup avec quelle précision j’avais pu braquer mon regard sur ce point précis, réflexion qui m’aida à supporter la terrible vingtaine de minutes de bandes-annonces et publicités pour un film dont la séance m’avait allégé de neuf euros quarante.

*

La Nuit Défendue, Pessac. La minuit est derrière nous, le bar devant. Il fait bon, S. nous paye de nouveau une tournée, j’ai la tête un peu ailleurs. Deux jeunes femmes me tournent le dos, tandis que je regarde nonchalamment par-dessus leurs épaules S. s’entretenir avec une tenancière. Dans la pénombre, elles se tournent de quart en face à face, l’une d’entre elles tend un verre plein à l’autre et lui offre un baiser. Puis se retournent de concert vers moi, me jetant un coup d’œil par-dessous. Je reste impassible.
J’admets ma surprise un instant, en pensée, mais que deux filles s’embrassent, ça m’est bien égal. Ce genre d’amour n’a pas d’âge ni de sexe, n’est-ce pas ? À quoi s’attendaient-elles ? À ce que je dégaine une bible en les vilipendant ? J’aurais, après coup, souhaité leur dire qu’en ma présence aucun couple homosexuel n’a à se réprimer comme j’ai l’impression qu’elles l’ont fait. Vivez votre amour comme bon vous semble. Cependant, si je leur avais dit ce que j’avais pensé rétrospectivement, je serais passé pour quoi, un ringard ? Le genre de sentence dont on se rend compte au milieu de sa récitation que l’on est un débile – il n’y a que les politiciens aguerris qui peuvent en débiter sans voir le rouge leur monter aux joues.
La meilleure réponse, celle qui l’aurait résumée – et qui la résume –, aurait été un haussement d’épaules.
« Allez vous faire voir ! Aimez-vous comme vous le souhaitez ! Vous n’avez pas besoin du regard d’autrui, seulement de l’Autre ! »

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